La psychologie positive
Une excellente conférence à Bordeaux animée par Christophe André
"Grand
défenseur de la thérapie comportementale, le psychiatre Christophe
André publie ce 23 janvier Et n'oublie pas d'être heureux.
Il
détaille pour le magasine L'Express les principes simples de la psychologie
positive. Interview :
De
son ami Matthieu
Ricard il a la gentillesse non feinte et le goût pour la
méditation. Christophe
André, c'est un peu le "sage" de la psy française,
l'apôtre tout sauf béat de la thérapie
comportementale
aux résultats concrets. Son dernier ouvrage, Et n'oublie pas d'être
heureux. Abécédaire de la psychologie positive, publié le 23
janvier aux éditions Odile Jacob, déploie, avec plus de maturité,
ce qui fait son succès depuis quinze ans : écriture limpide, sens
de la pédagogie, arguments scientifiques et récits
autobiographiques.
Dans
un pays qui ne jure que par le bonheur
mais ne cause que du malheur, les préceptes de ce psychiatre
parisien consultant à l'hôpital Sainte-Anne éclairent notre ciel
de sinistrose. "Si l'on bâtissait la maison du bonheur, la plus
grande pièce en serait la salle d'attente", écrivait Jules
Renard. A lire et à écouter Christophe André, on se dit que
l'écrivain est juste né trop tôt.
Depuis
Saint-Just, l'idée du bonheur n'est plus vraiment une idée neuve,
mais c'est devenu une idée fixe. Comment l'expliquez-vous?
Avant
de vous répondre, une remarque : je pense que, si l'on faisait le
calcul, on trouverait plus d'ouvrages sur le bonheur au XVIIIe siècle
qu'aujourd'hui ! Mais la grande différence est que notre rapport au
bonheur a changé, parce que le bonheur lui-même s'est démocratisé.
Les traités des stoïciens et des épicuriens s'adressaient à une
élite.
Ce
qu'ont apporté les révolutions française et américaine, c'est
l'idée que tout humain a droit au bonheur. Dans le préambule de la
déclaration d'indépendance des Etats-Unis d'Amérique, les trois
droits fondamentaux évoqués sont les droits à la vie, à la
liberté et à la poursuite du bonheur. Ce dernier devient ainsi une
aspiration à laquelle chacun peut prétendre. Mais, dès l'instant
où tout le monde y a droit, les élites trouvent le bonheur moins
noble, et se mettent à traiter de nigaud celui qui en parle.
L'autre
nouveauté est que, depuis quinze ans, nous disposons de plus en plus
d'études prouvant que le bonheur est bon pour la santé. Nos deux
grandes obsessions contemporaines, le bonheur et la santé, se
trouvent donc réunies !
Aujourd'hui,
les "pathologies du moi" ont remplacé les "névroses
de culpabilité", disent vos confrères. A chaque époque ses
troubles?
Absolument,
les interactions entre psychologie, psychiatrie et société sont
constantes. Prenez la psychanalyse. Elle s'est construite sur la
modélisation de l'hystérie de conversion, incarnée par ces femmes
que Charcot exhibait à la Salpêtrière et dont les problèmes
psychologiques se traduisaient par des pseudo-cécités ou des
pseudo-paralysies. Leurs troubles étaient typiques des sociétés
très répressives, qui refoulaient les pulsions et les émotions,
sur le modèle victorien.
Quand
le sexe s'est libéré et que la condition de la femme a évolué,
ces modèles théoriques sont devenus moins opérants. Dans les
années 1970, cette société répressive n'avait pas encore tout à
fait disparu. Il fallait honorer sa place, être bon père, bon
travailleur, ne pas décevoir les autres. Désormais, ce que mettent
en avant les individus en consultation, c'est la non-reconnaissance :
"Je n'ai pas été respecté au bureau", "mon conjoint
s'est payé ma tête pendant des années"...
Le
défi est d'arriver non plus à "tenir sa place" mais à
"trouver sa place"?
C'est
cela. La souffrance est la même, mais elle s'exprime différemment.
Prenez encore la question de l'estime de soi. Descartes en parle,
Rousseau en parle, mais le sujet prend réellement de l'importance à
partir des années 1980 avec le libéralisme, qui impose aux
individus d'apprendre à se vendre. Auparavant, on n'avait pas besoin
d'entretien d'embauche pour travailler puisque l'on passait toute sa
vie au même endroit et que l'on connaissait tout le monde dans son
environnement proche.
La
notion d'estime de soi n'était pas décisive dans une trajectoire
existentielle, donc ne causait pas de souffrance. Il en va de même
avec l'anxiété sociale, ou la timidité. A partir du moment où la
performance sociale devient primordiale, il faut séduire - de
nouveaux voisins, de nouveaux amis, de nouveaux collègues de
travail, de nouveaux partenaires. Si on n'est pas persuadé d'avoir
un minimum de valeur, les échecs peuvent mettre hors circuit. Chaque
fois qu'une société change, elle révèle des souffrances ou des
limitations, qui étaient silencieuses auparavant.
Les
thérapies comportementales et cognitives [TCC], dont vous êtes l'un
des représentants, sont-elles plus adaptées que la psychanalyse aux
maux de l'époque?
Je
ne dirais pas cela ; opposer les deux est très français,
d'ailleurs. Dans la plupart des pays, la psychanalyse s'est adaptée.
Le problème est qu'en France elle s'est déconsidérée toute seule
en se rigidifiant et en postulant qu'elle reposait sur des vérités
éternelles. En Suisse ou en Belgique, elle est rentrée dans le
paysage et figure aux côtés des autres thérapies - systémiques,
comportementales, etc. Je suis ravi que toutes ces voies existent.
Etre
soi-même anxieux lorsqu'on soigne et que l'on écrit des livres pour
les anxieux, est-ce une chance ou un boulet?
Une
chance, si on fait ce qu'il faut ! Mes patients sentent que j'ai
moi-même travaillé sur mes tendances anxieuses et dépressives, et
cela les aide. Je n'hésite d'ailleurs pas à faire ce que l'on
appelle de la " révélation de soi ", en consultation ou
dans mes livres. Cette technique constitue un outil très puissant de
soutien psychologique pour les patients, à condition de respecter
deux conditions : la révélation doit être un ingrédient et non
pas le composant principal du plat (la thérapie). Et il faut parler
de soi seulement lorsque l'on sent que le patient en a besoin - s'il
a l'impression qu'il ne peut pas avancer, ou qu'il est le seul à
connaître les problèmes qu'il décrit.
Quand
on entend "psychologie positive", on pense à la méthode
Coué, ou au slogan exaspérant des publicités - "Positivez!"
En quoi est-elle plus subtile?
Emile
Coué avait compris qu'une idée ressassée dans notre cerveau finit
par avoir une influence profonde sur l'image que l'on a de soi. Mais
sa méthode - se répéter des phrases positives - était un peu
simpliste, même si elle marche pour partie. La psychologie positive
regroupe un ensemble de techniques plus variées et plus fines, qui
ont fait l'objet d'études précises. Le grand problème est que
beaucoup de gens ont du mal à comprendre que des principes très
simples peuvent être très efficaces.
La
clef, dites-vous, réside dans la répétition, l'effort et
l'association des exercices.
Je
prends souvent le modèle de la corde, composée de tout un tas de
petits brins. Chaque brin, individuellement, est beaucoup trop léger
pour soulever le poids de nos difficultés, mais tous les brins
tissés ensemble deviennent très puissants. Un exemple : tous les
soirs, pendant quinze jours, je vais prendre le temps de repenser à
trois choses agréables qui me sont arrivées dans la journée, en
respirant, en revoyant la scène, longuement. Après deux semaines,
il se passera quelque chose en moi de bien plus fort que ce que je
pouvais imaginer.
Par
quel mécanisme?
Les
émotions négatives resserrent notre champ d'attention, puisque leur
fonction évolutive consiste à nous focaliser sur les problèmes
pour nous aider à les surmonter. Al'inverse, les émotions positives
ont pour fonction évolutive de nous aider à trouver des ressources,
elles ouvrent la focale attentionnelle en nous rendant capables de
mieux regarder autour de nous et de trouver un sens à ce que nous
vivons. En revanche, une personne déprimée ou qui a une trop faible
estime de soi peut aller encore plus mal si elle passe trop tôt à
la psychologie positive. Il faut d'abord avoir été capable de
lutter contre ses idées négatives, par une thérapie et/ou des
médicaments.
Vivre
l'instant en pleine conscience, admirer, remercier, chasser le
ressentiment... N'est-ce pas l'enseignement des sagesses anciennes et
des religions depuis plus de deux mille ans?
Vous
avez raison ! Lorsque j'aborde le thème de la psychologie positive,
d'ailleurs, je dis souvent que je vais évoquer de grandes
platitudes. Mais l'important n'est pas : "Est-ce que je le sais
?" La grande question est : "Est-ce que je le fais ?"
Le défi de la psychologie positive ne consiste pas tant à expliquer
les exercices que de motiver à les faire. Sans attendre de se
trouver dans le bon état d'esprit ou espérer des résultats
immédiats. Lorsque l'on n'a pas de bonnes raisons de pleurer, on
doit s'efforcer de sourire, nous dit la psychologie positive. Elle
est un acte d'hygiène, comme se brosser les dents. Voilà pourquoi
elle n'est pas forcément séduisante sur le plan intellectuel.
La
neuro-imagerie, en revanche, vous fournit des arguments scientifiques
en prouvant que le cerveau, donc notre façon de penser, peut
évoluer...
Oui.
La psychiatrie était très en retard sur les autres disciplines,
parce que nous ne disposions pas d'images satisfaisantes pour mesurer
son impact sur le cerveau. Sur une radio ou sur un
électroencéphalogramme, on ne voit pas grand-chose. Quand la
neuro-imagerie est arrivée, ce fut une révolution ! En 1992, Lewis
Baxter a publié la première étude qui montrait des modifications
des circuits cérébraux avant et après une thérapie
cognitivo-comportementale chez les patients souffrant de troubles
obsessionnels compulsifs. Pour la première fois, nous avions la
validation scientifique que les TCC pouvaient donner d'aussi bons
résultats que les médicaments.
Quel
est le but de la psychologie positive? Nous rendre heureux?
Disons,
un peu plus heureux, en évitant d'être inutilement malheureux. En
théorie, la psychologie positive se concentre plus sur le
développement de nos qualités et de notre bien-être, mais elle
ouvre aussi beaucoup les yeux sur le rapport entre bonheur et
malheur, étroitement liés. " Le bonheur n'est pas le but, mais
le moyen de la vie ", disait Paul Claudel. On ne vit pas pour
être heureux; en revanche, on vit grâce au bonheur. Si nous
n'avions pas la possibilité de savourer des moments agréables et
apaisants, tout en nous disant qu'une fois passés ils pourront se
reproduire, nous ne supporterions pas cette vie d'animaux mortels !
"Tout
commence par l'acceptation, écrivez-vous. Dire oui à la vie, dire
oui aux soucis." Mais comment faire dans une société qui
pousse à se protéger de tout : des intempéries, des rides, des
aléas de la vie?
Le
thérapeute, comme le philosophe, est là pour rappeler que toute
existence comporte une part d'adversité et que chacun d'entre nous y
sera confronté, un jour ou l'autre. S'il est important de se
protéger, et d'essayer d'être heureux le plus souvent possible, il
faut le faire dans un esprit réaliste. André
Comte-Sponville définit bien ce que pourrait être l'idéal de
la psychologie positive : "La sagesse, c'est le maximum de
bonheur dans le maximum de lucidité."
Conclure
un livre grand public traitant du bonheur par une réflexion sur sa
propre mort, comme c'est le cas dans votre dernier ouvrage, est peu
banal. Pourquoi ce choix?
Sans
cette conclusion, le livre n'a pas de sens ! La façon la plus
efficace d'accepter l'idée de la mort, c'est de rendre notre
existence aussi dense que possible en étant nous-mêmes aussi
présents que possible à ce que nous vivons. C'est l'essence même
du carpe diem. La phénoménologie du bonheur, qui s'intéresse à la
façon dont l'être humain le vit intérieurement, montre cela très
bien : dans les moments heureux, la seule chose qui compte est ce qui
est là, maintenant. Lorsque l'on est dans le présent, on est, d'une
certaine façon, dans l'éternité.
Christophe
André en 6 dates :
1956
Naissance à Montpellier. 1980 Doctorat de médecine. 1982 Mémoire
de psychiatrie. 1992 Ouverture d'une consultation à l'hôpital
Sainte-Anne, à Paris, spécialisée dans la prise en charge des
troubles anxieux et dépressifs. 2006 Impartfaits libres et heureux.
Pratiques de l'estime de soi (Odile Jacob). 2014Et n'oublie pas
d'être heureux. Abécédaire de la psychologie positive (Odile
Jacob). "
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/christophe-andre-trouver-un-sens-a-ce-que-nous-vivons_1316400.html