" Le privilège rare que représente un corps humain vous a été donné à la seule fin de suivre une discipline pour réaliser votre Divinité. " - Mâ Ananda Moyî
Wikipedia :
"Dieu
selon Kâbir, est un Dieu impersonnel, invisible, non-né, sans
formes, incompréhensible, à la fois immanent et transcendant au
monde visible (Dieu/Absolu sans attribut : Nirguna Brahman) 2 ; sa
poésie concernant sa vision du Divin a remué les foules et ses
paroles sur Dieu et les choses de la vie restent très présentes au
sein des masses de l'Inde du Nord :
«
Oh, ce mot mystérieux, comment pourrais-je jamais le prononcer ? Oh,
comment puis-je dire : Il n’est pas comme ceci et Il est comme cela
? Si je dis qu’il est en moi, l’Univers a honte de mes paroles ;
si je dis qu’il est en dehors de moi, je mens. Des mondes
intérieurs et extérieurs Il fait une indivisible unité ; le
conscient et l’inconscient sont les tabourets de ses pieds. Il
n’est ni manifesté ni caché ; Il n’est ni révélé ni
irrévélé. Il n’y a pas de mot pour dire ce qu’Il est. »— Sant
Kabir.
Pour
Kabir, le moyen de purification pour obtenir l'expérience du divin
(toute poétique d'ailleurs), ne passe ni par les rituels, ni
l'aveuglement pour une révélation écrite, ni par les institutions
humaines, ni en se soumettant à des savants qui rigidifient la
conception du divin, et il attaque avec beaucoup d'audace le front
des puissants et des savants en raillant leur prétentue sagesse. Il
était semble-t-il habillé comme tout le monde et se moquait
ouvertement des ordres d'ascètes avec leurs règles formelles
strictes comme leurs codes vestimentaires (critique qui rappelle
celle d'Erasme à l'égard des moines chrétiens dans son Eloge de la
folie), et qui ne sont pour lui que déguisements et vanité."
Poèmes traduits sur la version anglaise de Rabindranath Tagore
(Fragments)
Le
poète Kabir est une des figures les plus intéressantes du
mysticisme hindou.
Né
à Bénarès, de parents mahométans, aux environs de 1440, il devint
de bonne heure disciple du célèbre ascète hindou Ramananda, qui
prêchait dans le nord de l’Inde le réveil religieux, que Ramanuja
avait déjà apporté dans le sud au XIIe siècle. Ce réveil était
à la fois une réaction contre le fanatisme excessif du culte
orthodoxe et une revendication des droits du cœur en face de
l’intellectualisme exagéré du monisme védantiste. La prédication
de Ramanuja avait la forme d’une dévotion ardente au Dieu Vishnou,
représentant la forme personnelle de la divine Nature. Ce fut cette
religion mystique de l’amour qui apparaît partout où se rencontre
un certain niveau de culture spirituelle et que les croyances et les
philosophies sont impuissantes à détruire.
L’histoire
de Kabir est environnée de légendes contradictoires auxquelles on
ne peut accorder foi. Quelques points seulement paraissent à peu
près certains. Il était le fils, ou l’enfant adoptif d’un
tisserand de Bénarès, et c’est dans cette ville qu’il passa la
plus grande partie de sa vie. Il n’adopta jamais la conduite d’un
ascète professionnel ; il ne se retira pas du monde pour mortifier
son corps et se livrer à la contemplation. Toutes les légendes
s’accordent pour dire qu’il exerça lui-même le métier de
tisserand, qu’il était marié, père de famille et que ce fut au
sein de la vie domestique qu’il chanta le divin amour.
Tant
au point de vue hindou qu’au point de vue musulman, Kabir fut
d’ailleurs nettement hérétique. La « simple union » avec la
divine Réalité, qu’il célébrait sans cesse comme le devoir et
la joie de l’âme, était à ses yeux indépendante de tout rite et
de toute austérité.
Aussi
fut-il en butte à des persécutions. Comme il était né de parents
mahométans, il échappait à l’autorité des brahmanes. Sa vie fut
épargnée, mais il fut banni, sans doute vers 1495. Il erra alors à
travers les villes du nord de l’Inde, continuant, comme exilé, sa
prédication.
En
1518, vieux, malade, les mains trop faibles pour pouvoir jouer encore
cette musique qu’il aimait tant, il mourut à Maghar près de
Gorakhpur.
Une
légende dit qu’après sa mort ses disciples mahométans et hindous
se disputèrent la possession de son corps, ceux-ci voulant le brûler
et ceux-là l’enterrer. Kabir leur apparut alors et leur dit : «
Soulevez le linceul et voyez ce qu’il y a dessous. » L’ayant
fait, les disciples trouvèrent en place du corps un amas de fleurs.
La moitié fut brûlée par les Mahométans à Maghar, l’autre
emportée par les Hindous à Bénarès.
Touchante
conclusion à la vie d’un homme qui avait répandu le parfum de ses
poèmes sur les plus belles doctrines des deux grandes religions.
(D’après
la notice sur Kahir de M. Evelyn Underhill.)
*
La
version anglaise des Poèmes de Kabir a été faite par Rabindranath
Tagore en collaboration avec M. Evelyn Underhill.
PREMIÈRE
SUITE
I
Dis-moi,
Frère, comment je puis renoncer à Maya.
Quand
je défis le nœud de mes rubans, j’attachai encore mon vêtement
autour de moi ;
Quand
j’eus ôté mon vêtement, je couvris cependant mon corps de ses
plis.
— Ainsi
quand j’abandonne mes passions, ma colère demeure.
Et,
quand je renonce à la colère, l’envie est encore en moi.
Et,
quand j’ai vaincu l’envie, mon orgueil et ma vanité sont
toujours là.
Quand
l’esprit est libéré et qu’il a chassé Maya, il reste attaché
à la lettre.
Kabir
dit : « Écoute-moi, cher Sadhu, le vrai sentier est difficile à
trouver. »
II
La
lune brille au dedans de moi ; mais mes yeux aveugles ne peuvent la
voir.
Elle
est en moi ainsi que le soleil.
Sans
qu’on le frappe, le tambour de l’Éternité résonne au dedans de
moi ; mais mes oreilles sourdes ne peuvent l’entendre.
Aussi
longtemps que l’homme réclamera le Moi et le Mien, ses œuvres
seront comme zéro.
Quand
tout amour du Moi et du Mien sera mort, alors l’œuvre du Seigneur
sera accomplie.
Car
le travail n’a pas d’autre but que la connaissance.
Quand
la connaissance est atteinte, le travail est laissé de côté.
La
fleur s’épanouit pour le fruit ; quand le fruit mûrit, la fleur
se fane.
Le
cerf contient le musc, mais il ne le cherche pas en lui-même : il
erre en quête d’herbe.
III
Quand
Il se révèle à Lui-même, Brahma découvre l’invisible.
Comme
la graine est dans la plante, comme l’ombre est dans l’arbre,
comme l’espace est dans le ciel, comme une infinité de formes sont
dans l’espace.
Ainsi,
d’au delà de l’Infini, l’Infini vient ; et l’Infini se
prolonge dans le fini :
La
créature est dans Brahma et Brahma est dans la créature ; ils sont
à jamais distincts et cependant à jamais unis.
Lui-même,
Il est l’arbre, la graine et le germe.
Lui-même,
Il est la fleur, le fruit et l’ombre.
Il
est le soleil, la lumière et tout ce qui s’éclaire.
Il
est Brahma, la créature et l’Illusion.
Il
est la forme multiple, l’espace infini ;
Il
est le souffle, la parole, la pensée.
Il
est le limité et l’illimité ; et, par delà le limité et
l’illimité, Il est l’Être pur.
Il
est l’Esprit immanent dans Brahma et dans la créature,
— L’Âme
suprême est vue en dedans de l’âme.
— Le
point ultime est vu dans l’Âme suprême.
— Et,
dans ce Point, les créations se reflètent encore. Kabir est béni
parce qu’il a cette suprême vision.
IV
Dans
le vase terrestre sont des berceaux de verdure et des bocages ; en
lui est le Créateur.
Dans
ce vase sont les sept Océans et les innombrables étoiles.
Le
joaillier et sa pierre de touche sont dedans.
La
voix de l’Éternel y retentit et fait jaillir le printemps.
Kabir
dit : « Écoute-moi, mon ami ; mon Seigneur bien-aimé est dans ce
vase. »
V
Oh,
ce mot mystérieux, comment pourrais-je jamais le prononcer ?
Oh,
comment puis-je dire : Il n’est pas comme ceci et Il est comme cela
?
Si
je dis qu’il est en moi, l’Univers a honte de mes paroles ;
Si
je dis qu’il est en dehors de moi, je mens.
Des
mondes intérieurs et extérieurs Il fait une indivisible unité ;
Le
conscient et l’inconscient sont les tabourets de ses pieds.
Il
n’est ni manifesté ni caché ; Il n’est ni révélé ni
irrévélé.
Il
n’y a pas de mot pour dire ce qu’Il est.
VI
Tu
as attiré mon cœur à Toi, ô Fakir ?
J’étais
endormi dans ma chambre et Tu m’as éveillé de la voix
saisissante, ô Fakir.
Je
me noyais dans les profondeurs de l’Océan de ce monde et tu m’as
sauvé, me soutenant de Ton bras, ô Fakir.
Un
seul mot de Toi ; non pas deux — et tu as brisé tous mes liens, ô
Fakir.
Kabir
dit : « Tu as uni Ton cœur à mon cœur, ô Fakir. »
VII
Jadis
je jouais jour et nuit avec mes camarades et maintenant j’ai peur.
Si
élevé est le palais de mon Seigneur que mon cœur tremble d’y
monter : pourtant je ne dois pas être craintive si je veux jouir de
Son amour.
Mon
cœur doit s’attacher à mon Bien-Aimé ; je dois écarter mon
voile et unir tout mon être à Lui.
Mes
yeux feront l’office de lampes d’amour.
Kabir
dit : « Écoute, mon amie, Il comprend qui l’aime. Si tu ne
languis pas d’amour pour ton Unique Bien-Aimé, il est inutile
d’orner ton corps ; il est vain de mettre de l’onguent sur tes
paupières. »
VIII
Dis-moi,
ô Cygne, ton antique histoire.
De
quel pays viens-tu, ô Cygne ? — Vers quel rivage t’envoles-tu ?
Où
prendras-tu ton repos, ô Cygne, et que cherches-tu ?
Ce
matin même réveille-toi, ô Cygne, lève-toi et suis-moi.
Il
est un pays où ni le doute ni la tristesse n’ont d'empire ; où la
terreur de la mort n’existe plus.
Là,
les bois du printemps sont en fleurs et leur senteur parfumée qui
dit: « Il est Moi », est portée sur la brise.
Là,
l’abeille du cœur plonge profondément dans la fleur et ne désire
plus d’autre joie.
IX
Ô
Seigneur incréé, qui Te servira ?
Chaque
fidèle adore le Dieu qu’il se crée ; chaque jour il en reçoit
des faveurs.
Aucuns
ne le cherchent Lui, le Parfait, Brahma, l’indivisible Seigneur.
Ils
croient en dix Avatars; mais un Avatar, endurant les conséquences de
ses actes, ne peut être l’Esprit infini.
L’Un
Suprême doit être autre.
Les
Yogi, les Sangasi, les Ascètes se disputent entre eux.
Kabir
dit : « Ô frère, celui qui a vu le rayonnement de son amour,
celui-là est sauvé ! »
X
La
rivière et ses vagues forment une même surface : quelle est la
différence entre la rivière et ses vagues ?
Quand
la vague s’élève, c’est de l’eau et, quand la vague retombe,
c’est toujours la même eau. Dites-moi où est la difierence.
Parce
qu’on l’a nommée vague, ne sera-t-elle plus considérée comme
de l’eau ?
Au
sein du Suprême Brahma. les mondes apparaissent comme les grains
d’un chapelet ;
Regarde
ce rosaire avec les yeux de la Sagesse.
XI
Où
règne le Printemps, ce Seigneur des Saisons, une musique mystérieuse
se fait entendre.
Là
des torrents de lumière coulent en tous sens.
Peu
d’hommes peuvent atteindre à ce rivage,
où
des millions de Krishnas se tiennent les mains croisées ;
où
des millions de Vishnus sont prosternés ;
où
des millions de Brahmanes lisent les Védas ;
où
des millions de Shiva sont perdus dans la contemplation.
Là
des millions d’Indra et d’innombrables demi-dieux ont le ciel
pour demeure.
Là
des millions de Saraswatis, déesses de la musique, jouent sur la
Vina.
Là
mon Seigneur se révèle à Lui-même et le parfum du santal et des
fleurs flotte dans les profondeurs de l’espace.
XII
Entre
les pôles du conscient et de l’inconscient, l’esprit se balance
:
À
cette balançoire sont suspendus tous les êtres et tous les mondes ;
et cette balançoire ne cesse jamais de se balancer.
Des
millions d’êtres y sont accrochés : le soleil et la lune, dans
leur course, s’y balancent.
Des
millions d’âges passent et toujours la balançoire se balance.
Tout est balancé : le ciel et la terre et l’air et l’eau, et le
Seigneur Lui-même qui se personnifie :
Et
la vue de tout ceci a fait de Kabir le serviteur de son Dieu.
XIII
La
lumière du soleil, de la lune et des étoiles brille d’un vif
éclat : la Mélodie de l’amour monte toujours plus haut et le
rythme du pur amour bat la mesure.
Jour
et nuit le Chœur musical remplit les cieux ; et Kabir dit : « Mon
Unique Bien-Aimé m’éblouit comme l’éclair au ciel. »
Savez-vous
comment les instants disent leur adoration ?
Brandissant
son cercle de lumières, l’Univers, jour et nuit, chante en
adorant.
Là
se cachent la bannière et les célestes lambris ;
Là
le son des cloches invisibles se fait entendre ;
«
Là, dit Kabir, l’adoration ne cesse jamais ; là le Seigneur de
l’Univers est assis sur son trône. »
Le
monde entier fait son œuvre et commet ses erreurs : mais peu
nombreux sont les amoureux qui connaissent le Bien-Aimé.
Comme
se mélangent les eaux du Gange et de la Jumna, ainsi se mêlent,
dans le cœur du chercheur pieux, les deux courants de l’amour et
du sacrifice.
Dans
son cœur l’eau Sacrée s’épanche jour et nuit ; et ainsi
s’achève le cycle des naissances et des morts.
Voyez
quel repos merveilleux est dans l’Esprit Suprême ! Celui-là en
jouit qui le cherche.
Tenu
par les cordes de l’amour, la balançoire de l’Océan de joie va
et vient ; et un son puissant éclate en chansons.
Voyez
quel lotus fleurit là sans eau ! et Kabir dit : « L’Abeille de
mon cœur boit son nectar. »
Quel
merveilleux lotus est celui qui fleurit au cœur du rouet de
l’Univers ! Seules quelques âmes pures en connaissent les vrais
délices.
La
musique résonne partout alentour et le cœur y participe à la joie
de la Mer Infinie.
Kabir
dit : « Plonge-toi dans cet océan de douceur et laisse s’envoler
au loin toutes les erreurs de la vie et de la mort. »
Vois
comme, ici, la soif des cinq sens est étanchée ; les trois formes
de la misère ne sont plus.
Kabir
dit : « C’est le Sport de l’Inaccessible ; regardez en dedans et
voyez comme les rayons de lune du Dieu caché brillent en vous ! »
Là
bat le rythme de la vie et de la mort.
Là
jaillissent les ravissements. Tout l’espace est radiant de lumière.
Là,
une musique mystérieuse se fait entendre. C’est la musique de
l’amour des trois mondes.
Là
brûlent les millions de lampes du soleil et de la lune.
Là
le tambour bat et l'amoureux s’amuse sur une escarpolette.
Là
les chansons amoureuses résonnent de toutes parts et la lumière
pleut en ondées ; et l’adorateur goûte avec ravissement au
céleste nectar.
Regardez
la vie et la mort : il n’y a plus de séparation entre elles.
Telles la main gauche et la main droite sont elles-mêmes et
pareilles.
Kabir
dit : « L’homme sage restera muet ; car cette vérité ne peut se
trouver ni dans les livres ni dans les Védas. »
J’ai
pris place dans l’harmonieux équilibre de l’Un.
J’ai
bu la coupe de l’ineffable.
J’ai
trouvé la clef du mystère.
J’ai
atteint la racine de l’Union.
Voyageant
sans chemin je suis arrivé au pays sans douleur ; très doucement la
grâce du Grand Seigneur est descendue sur moi.
On
chante le Dieu infini comme s’il était inaccessible ; mais, moi,
dans mes méditations, sans mes yeux, je L’ai vu.
C’est
bien le pays sans souffrances et personne ne connaît le chemin qui y
mène.
Seul,
celui qui est sur ce chemin est allé au delà de la région des
douleurs.
Merveilleux
est ce pays, dont aucun mérite ne peut être le prix.
C’est
le sage qui le voit ; c’est le sage qui le chante.
Ceci
est l’ultime parole ; mais comment exprimer sa merveilleuse saveur
? Celui qui l’a une fois savourée, celui-là sait quelle joie elle
peut donner.
Kabir
dit : « La connaissant, l’ignorant devient sage et le sage devient
muet d’adoration silencieuse. »
L’adorateur
est totalement enivré.
Sa
sagesse et son détachement sont parfaits.
Il
boit à la coupe des inspirations et des aspirations de l’amour.
Là
tout le ciel s’emplit de sons et la musique se joue sans cordes et
sans doigts.
Là
le jeu de la joie et de la douleur ne cesse pas.
Kabir
dit : « Si tu te plonges dans l’Océan de Vie, tu vivras dans le
Pays de la Suprême Félicité. »
Quelle
frénésie d’extase il y a dans chaque heure ! L’adorateur
exprime et boit l’essence des heures. Il vit de la vie de Brahma.
Je
dis la vérité, car j’ai accepté la vérité dans ma vie. Je suis
à présent attaché à la vérité ; j’ai balayé loin de moi tous
les faux clinquants.
Kabir
dit : « Ainsi l’adorateur s’affranchit de toute crainte ; ainsi
le quittent toutes pensées erronées sur la vie et sur la mort. »
Là
le ciel s’emplit de musique.
Là
il pleut du nectar.
Là
les cordes de la harpe vibrent et les tambours battent.
Quelle
secrète splendeur est là dans ce château du Ciel.
Là
il n’est plus question du lever et du coucher du soleil.
Dans
l’océan de révélations qu’est la lumière de l’amour, le
jour et la nuit ne font qu’un.
Joie
à jamais ; ni douleurs, ni luttes.
Là
j’ai bu, remplie jusqu’au bord, la coupe de la joie, de la joie
parfaite.
Là,
il n’y a pas de place pour l’erreur.
Kabir
dit : « Là, j’ai été témoin des jeux de l’Unique Félicité.
»
J’ai
connu en moi-même le jeu de l’Univers ; j’ai échappé à
l’erreur de ce monde.
Le
dedans et le dehors sont devenus pour moi un seul Ciel. L’infini et
le fini se sont unis. Je suis ivre de la vue du Tout.
Ta
lumière emplit l’Univers ; elle est la lampe d’amour qui brûle
sur le plateau du savoir.
Kabir
dit : « Là, aucune erreur ne peut entrer et le conflit de la vie
avec la mort n’existe plus. »
DEUXIEME
SUITE
I
Vide
la coupe ! Enivre-toi ! Bois le divin nectar de Son Nom !
Kabir
dit : « Écoute-moi, cher Sadhu ! Du sommet de la tête à la plante
des pieds, l’homme est empoisonné par l’intelligence. »
II
Ô
homme, si tu ne connais pas ton propre Seigneur, de quoi es-tu si
fier ?
Renonce
à toute habileté. Jamais de simples mots ne t’uniront à Lui.
Ne
te laisse pas tromper par le témoignage des Écritures.
L’amour
est bien différent de la lettre et celui qui en toute sincérité
l’a cherché l’a trouvé.
III
La
douceur de voguer sur l’océan de l’immortelle vie m’a délivré
de toutes vaines questions.
Comme
l’arbre est dans la graine, ainsi tous les maux sont dans les
vaines demandes.
IV
Quand
enfin tu as trouvé l’océan du bonheur, ne t’en va pas assoiffé.
Réveille-toi,
fou que tu es ! la mort te guette. Ici est l’eau pure devant toi.
Bois-la à perdre haleine.
Ne
poursuis pas le mirage, mais aies soif de nectar.
Dhruva,
Prahlad et Shukadeva en ont bu ; Raida en a goûté.
Les
Saints sont ivres d’amour, c’est d’amour qu’ils ont soif..
Avec
la fausseté tu tisses ton esclavage ; tes paroles sont pleines de
tromperie.
Avec
le fardeau de désirs dont ta tête est chargée, comment pourrais-tu
être léger ? »
Kabir
dit encore : « Garde en toi la vérité, l’esprit de sacrifice et
l’amour. »
V
Qui
a appris à la veuve à laisser consumer son corps sur le bûcher de
son époux défunt ?
Mais
qui a appris à l’amour à trouver sa joie dans le sacrifice ?
VI
Pourquoi,
mon cœur, es-tu si impatient ?
Celui
qui veille sur les oiseaux, sur les bêtes et sur les insectes,
Celui
qui a pris soin de toi quand tu étais encore dans le sein de ta mère
Ne
te préservera-t-il plus à présent que tu en es sorti ?
Ô
mon cœur, comment peux-tu te détourner du sourire de ton Dieu et
errer si loin de Lui ?
Tu
as abandonné ton Bien Aimé pour penser à d’autres. Voilà
pourquoi ton œuvre est vaine.
VII
Comme
il m’est difficile de rencontrer mon Seigneur !
L’oiselle
de pluie, altérée, appelle la pluie à grands cris. Elle mourra
d’attente plutôt que de boire une autre eau ;
Attirée
par les sons de la musique, la biche s’approche : elle risque sa
vie en les écoutant et pourtant la crainte ne la fait pas reculer.
La
veuve reste assise auprès du corps de son époux ; le feu ne lui
fait pas peur.
N’aie
aucune crainte pour ton misérable corps.
VIII
Ô
frère ! quand je m’égarais, le vrai Maître me montra la route.
Alors
je laissai les rites et les cérémonies ; je ne me plongeai plus
dans les eaux sacrées.
Je
compris que moi seul j’étais fou ; que tout le monde autour de moi
était sain d’esprit et que je scandalisais les gens sages.
Depuis
ce jour, je ne me roule plus dans la poussière en signe d’obéissance
;
Je
ne sonne plus la cloche du temple ;
Je
ne place plus l’idole sur son trône ;
Je
ne mets plus de fleurs devant les images en signe d’adoration.
Ce
ne sont pas les austérités et les mortifications de la chair qui
plaisent au Seigneur.
Ce
n’est pas en quittant tes vêtements et en tuant tes sens que tu
Lui es agréable.
L’homme
qui est bon, loyal, qui demeure calme au milieu de l’agitation du
Monde, qui estime autant que soi-même toutes les créatures de la
Terre,
Cet
homme-là atteint l’Être Immortel et le vrai Dieu est avec lui.
Kabir
dit : « Celui dont les paroles sont pures et qui n’a ni orgueil ni
envie connaît Son Vrai Nom. »
IX
L’ascète
teint ses vêtements au lieu de teindre son âme des couleurs de
l’amour.
Il
reste assis dans le temple, abandonnant Brahma pour adorer une
pierre.
Il
se perce les oreilles ; il porte une longue barbe et des guenilles
sordides ; il ressemble à un bouc.
Il
marche dans le désert, tuant en lui le désir et il devient
semblable à l’eunuque.
Il
se tond la tête et teint ses vêtements ; il lit la Gita et devient
un grand bavard.
Kabir
dit : « Toi qui agis comme lui, tu vas aux portes de la mort, pieds
et mains liés. »
X
Je
ne sais quel est mon Dieu.
Le
Mullali crie vers Lui : pourquoi ? Le Seigneur est-il sourd ? Il
entend bien résonner les fines articulations d’un insecte qui
marche.
Égrène
ton chapelet ; peins sur ton front le chiffre de ton Dieu ; porte de
longues guenilles tachées et voyantes ; si une arme de mort est dans
ton cœur, comment posséderas-tu Dieu ?
XI
J’entends
la mélodie de Sa flûte et je ne suis plus maître de moi.
La
fleur s’épanouit sans que le printemps soit venu, et déjà
l’abeille a reçu son message odorant.
Le
tonnerre gronde, les éclairs brillent ; des vagues s’élèvent
dans mon cœur.
La
pluie tombe et mon âme languit après mon Seigneur.
Là
où le rythme du monde tour à tour prend naissance et meurt, c’est
là que mon cœur a atteint.
Là
les bannières cachées flottent au vent.
Kabir
dit : « Mon cœur se meurt de vivre. »
XII
Si
Dieu est dans la mosquée, alors à qui ce monde appartient-il ?
Pèlerin,
si Rama est dans l’image que tu adores, alors que se passe-t-il là
où il n’y a pas d’images ?
Hari
est à l’orient ; Allah est à l’occident. Regarde dans ton cœur,
tu y trouveras à la fois Karim et Rama.
Tous
les hommes et toutes les femmes du monde sont Ses formes vivantes.
Kabir
est l’enfant d’Allah et de Rama. Lui est mon Maitre ; Lui est mon
directeur spirituel.
XIII
Celui
qui est modeste et content de son sort ; celui qui est juste, celui
dont l’esprit est rempli de résignation et de paix ;
Celui
qui L’a vu et qui L’a touché, celui-là est libéré de la
crainte et de l’angoisse.
Pour
lui la pensée de Dieu est comme une pâte de santal répandue sur
son corps.
Pour
lui il n’y a aucune autre joie que cette pensée.
Une
harmonie accompagne son travail et son repos ; un rayonnement d’amour
émane de lui.
Kabir
dit : « Touche les pieds de Celui qui est un, indivisible, immuable,
paisible, qui remplit de joie à pleins bords les vases terrestres et
dont la forme est amour. »
(Traduit
sur la version anglaise par Mme H. Mirabaud-Thorens.)
Kabir
dit : « Écoute, mon frère ! le repaire de la crainte est brisé ;
Pas
un instant tu n’as regardé le monde face à face