mardi 21 avril 2015

Hommage à Maître Eckhart


Permettez-moi de partager avec vous quelques réflexions, qui m'apparaissent essentielles pour celui qui espère trouver le bonheur au-delà de tous les petits bonheurs que nous chérissons tant et qui nous grandissent lorsque nous acceptons de les voir pour ce qu'ils sont : éphémères. La grande difficulté de nos vies est bien cet attachement à maintenir solide, existant, ce que nous avons décidé pour nous-même, comme des piliers à notre équilibre fragile. Et bien, il semble que chaque expérience en soi, n'est pas mauvaise, même l'expérience de la souffrance extrême, si celle-ci nous conduit à une transcendance. Une bonne fièvre peut nous rend plus lumineux. La souffrance, si cela est sa raison d'être, se maintiendrait d'elle-même, si elle n'était pas sublimée dans le temps, car avec le temps la force de l'attachement s'étiole tout naturellement. Or le faible fait de sa faiblesse une grande force (Lao Tzi), par ce qu'il sait qu'il ne peut compter sur lui-même. C'est celui qui demande de l'aide, qui cherche celui qui va ôté l'aiguille insérée dans le pied. Le fort, lui, maintient la douleur plus longtemps, et laisse au corps le soin de réfléter, parfois tragiquement, son déni, cela est sa faiblesse.
Chaque expérience n'est pas mauvaise, non, or il apparaît que ce qui est bon pour l'âme est cet au-delà de l'expérience. Cet espace de tranquillité naturelle qui est au-delà de... Lao Tzi est sans doute le plus doué pour l'exprimer :

Lao Tseu :

" Bien que trente rayons convergent au moyeu 
c’est le vide médian 
qui fait avancer le char. 
L’argile est employée à façonner des vases 
Mais c’est du vide interne dont dépend leur usage 
Il n’est chambre où ne soient percée porte et fenêtre 
Car c’est le vide encore 
Qui permet l’habitat 
L’être a des aptitudes que le non-être emploie "

Dans le contexte de la mystique médiévale chrétienne, la figure de Maître Eckhart (    m'apparaît très proche de la démarche orientale qu'elle soit taoïste ou inscrite dans le Védanta, à travers ce qui est appelé la pensée négative, où l'Ultime est toujours défini par une négation : ni ceci, ni cela, ni la lumière, ni la sainteté, ni la bonté, ni la justice.... Elle est au-delà de tout état, on ne peut rien en dire. Juste s'y abandonner. On ne peut plus spéculer. Juste s'y abandonner. Car celui qui n'a pas connue l'âme doit garder silence. Simplement s'abandonner.

"L'aveugle a tout vu, le sourd tout entendu" (maitre Ram Chandra, Vérité éternelle)

« IL VIT LE NÉANT :
C'ÉTAIT DIEU »
Eckhart, Sermon 71

Quand l'âme ne se disperse pas dans les choses extérieures, elle est parvenue chez elle et réside dans sa lumière simple et pure. Là elle n'éprouve ni amour ni angoisse ni peur. La connaissance est une base et un fondement de tout être. L'amour ne peut être attaché à rien d'autre qu'à la connaissance. Quand l'âme est aveugle et ne voit rien d'autre, elle voit Dieu, il faut nécessairement qu'il en soit ainsi. Un maître dit : l'oeil dans sa plus grande pureté, du fait qu'il ne contient aucune couleur, voit toute couleur. Non seulement parce qu'il est en lui-même dépourvu de toute couleur, mais parce qu'il est dans le corps, il faut qu'il soit sans couleur pour que l'on connaisse la couleur. Par ce qui est sans couleur, on voit toute couleur, même si c'était en bas, aux pieds. Dieu est un être tel qu'il porte en lui tous les êtres. Si Dieu doit être connu de l'âme, il faut qu'elle soit aveugle. C'est pourquoi il dit : « il vit » le Néant; par sa lumière est toute lumière; par son être sont tous les êtres. Aussi la fiancée dit-elle au Livre de l'Amour : « Lorsque j'avançai un peu, je trouvai celui qu'aime mon âme. » Le « peu » qu'elle dépasse, c'étaient toutes les créatures. Celui qui ne les repousse pas ne trouve pas Dieu. Elle veut dire aussi : si minime, si pur que soit ce par quoi je connais Dieu, cela doit être écarté. Et même si je prends la lumière qui est vraiment Dieu, en tant qu'elle touche mon âme, ce n'est pas comme il se doit. Il me faut la saisir dans son jaillissement. Je ne pourrais pas bien voir la lumière qui brille sur le mur si je ne tournais les yeux là où elle jaillit. Et même alors, si je la saisis là où elle jaillit, il faut que je sois libéré de ce jaillissement; je dois la saisir telle qu'elle plane en elle-même. Même alors, je dis qu'il ne doit pas en être ainsi. Il ne me faut la saisir ni dans son contact ni dans son jaillissement, ni quand elle plane en elle-même, car tout ceci est encore un mode. Il faut saisir Dieu comme mode sans mode, comme être sans être, car il n'a pas de mode.
Saint Bernard dit à ce sujet : Qui veut te connaître, Dieu, doit te mesurer sans mesure.
Prions Notre-Seigneur de parvenir à cette connaissance qui est absolument sans mode et sans mesure. Que Dieu nous y aide. Amen.

 ou :
« IL EXISTE
UNE AUTRE PAUVRETÉ,
UNE PAUVRETÉ INTÉRIEURE »
Eckhart, Sermon 52
Si on me demandait ce qu'est un homme pauvre, qui ne veut rien, je répondrais : tout le temps que l'homme est tel que c'est sa volonté de vouloir accomplir la toute chère volonté de Dieu — cet homme n'a pas la pauvreté dont nous voulons parler, car cet homme a une volonté par laquelle il veut satisfaire à la volonté de Dieu et ce n'est pas la vraie pauvreté. Car si l'homme doit être véritablement pauvre, il doit être aussi dépris de sa volonté créée qu'il l'était quand il n'était pas. Car je vous dis par l'éternelle vérité : tout le temps que vous avez la volonté d'accomplir la volonté de Dieu et que vous avez le désir de l'éternité et de Dieu, vous n'êtes pas pauvres, car seul est un homme pauvre celui qui ne veut rien et ne désire rien [...].